Pointe Noire la bien nommée…
Pour les fêtes de fin d’année, je me suis rendu avec quelques amis à Pointe Noire, la capitale économique de l’autre Congo, le petit frère d'en face. Le but du voyage ne devait pas nous faire décoller des pâquerettes. Plages, crustacés et cocotiers, nous étions d’abord là pour recharger les batteries. Mais cette première traversée du fleuve a tout de même inspiré quelques réflexions dont je voulais vous faire part.
Première réflexion : le jardin parisien
Si on exclut Rome et le Vatican, Kinshasa et Brazzaville sont les deux capitales les plus proches du monde. Seul le fleuve les sépare. Mais en l’absence de pont, il les sépare rudement bien. En quelques centaines de mètres, vous passez d’un univers à un autre.
On m’avait dit que je serais surpris par le calme de la ville, son côté provincial. C’est vrai que Brazza est un gros village comparé à Kinshasa. Mais il n’y a là rien d’étonnant. En revanche, j’étais nettement moins préparé à cette sensation de débarquer en France ou disons en Afrique française, pour rester correct. En traversant le fleuve, on entre dans cet immense jardin parisien qui court du Maghreb à l’Afrique Centrale.
Je n’avais pas encore un pied à terre qu’un officier des douanes congolaises se présentait devant moi affublé d’un drapeau tricolore… bleu-blanc-rouge! Son uniforme semblait tout droit sorti d’un épisode de Julie Lescaut. Je n'aurais pas été surpris qu'il prenne l'accent marseillais pour réclamer mes papiers.
Quelques centaines de mètres plus loin, un mémorial monumental est érigé à la gloire de Pierre Savorgnan de Brazza, l’explorateur français qui a découvert le pays. J'ai dû me pincer. Un panthéon à la gloire de la colonisation française. La première pierre a été posée par Jacques Chirac en… 2005!!! Il aura coûté la modique somme de 15 millions d'euros.
Sur la route de l'aéroport, le chauffeur du taxi voulait me convaincre que nous n’étions pas dans un DOM-TOM, je commençais sérieusement à en douter. Une multitude de détails rappellent l'in... ... fluence de la France dans la région. Alors que Kinshasa a déboulonné depuis longtemps ses statues coloniales, on peut souhaiter au voisin d’en face que le XXIème siècle sera celui de l’indépendance...
Seconde réflexion : la malédiction du pétrole
Par le passé, la région était surtout réputée pour ses esclaves. En trois siècles, plus d’un million et demi de personnes ont été déportées au départ de ces côtes. Aujourd’hui c’est une autre forme d’or noir qui attire les occidentaux sur la façade atlantique de l'Afrique.
Pointe Noire la bien nommée est ma première aventure pétrolière. Mon premier contact avec cet univers opaque et visqueux qui malheureusement domine le monde. Bien sur, nous ne sommes pas à Dubaï mais le pétrole et Total sont ici omniprésents. A la nuit tombée, les plateformes scintillent à l'horizon. Elles illuminent l’océan. C’est joli. Mais le charme est vite rompu si l’on creuse un peu.
De part et d’autre du boulevard Charles de Gaulle (Ca ne s'invente pas!), le centre ville est propre, sur, parsemé de grosses villas et d’hôtels hors de prix. C’est la face émergée de la manne pétrolière. Deux kilomètres plus loin, la cité est défoncée, oubliée… comme ailleurs. Décidemment, le pétrole ne profite pas à tout le monde.
A en croire Global Witness (2005), mon impression n’était pas tout à fait erronée : « La République du Congo illustre clairement combien une mauvaise gestion des revenus pétroliers, en plus d’empêcher les pays de s’enrichir, peut instaurer un environnement où règnent corruption et instabilité. » Le pétrole a rapporté trois milliards de dollars à l’Etat congolais en 2006 (750$ par habitant). Pourtant, plus des deux tiers de la population vit avec moins de 1$ par jour. Curieuse répartition…
Troisième réflexion : le rayonnement de Kinshasa
A 600 km, Kinshasa est dans toutes les têtes. L’attraction économique de la capitale voisine s’est effondrée avec les années. Mais son influence culturelle et sociale reste énorme. Il faut dire que Kinshasa seule, c’est deux fois la population du Congo-Brazza. Chaque année, des milliers de Kinois s’en vont chercher un revenu dans les régions environnantes. A Pointe Noire, on a parfois le sentiment qu’ils ont colonisé la ville. La musique kinoise est partout, dans les bars comme dans les taxis.
Dès qu'on parle de "la métropole", on suscite une foule de réactions. Le plus souvent elles sont positives. Ceux qui l'ont connue sont généralement nostalgiques. C'est vrai que ça bouge nettement plus de l'autre côté du fleuve. Kinshasa continue donc de fasciner et garde une aura impressionnante. Les heures de gloires de Kin-la belle n’ont pas été oubliées et beaucoup refusent de croire qu'elle est aujourd’hui largement délabrée. Le mythe a la vie dure...