L'union fait la force...
Depuis quelques jours, Kinshasa ne parle plus que de ça. Pour être plus précis, on ne parle que de lui. Lui, c’est notre bulldozer des affaires étrangères. Une fois encore, il s’est illustré par sa finesse et son sens de la diplomatie. Et dire que la dentelle est une spécialité brugeoise et le compromis, une affaire belge...
Sur le fond, personne ne peut lui donner tort. La corruption gangrène le Congo et certains n’hésitent pas à profiter de leur situation pour s’accorder des privilèges qui dépassent l’entendement. Fermer les yeux serait de la complicité. Mais il y a le moment et la manière de l'ouvrir. On ne s’adresse pas au président légitimement élu d’un Etat souverain comme on le ferrait à son fils ou à un mauvais élève. Pourquoi cette sortie publique humiliante ? Pourquoi ne pas avoir souligné les progrès réalisés ? On peut se demander les motivations de cette « franchise » inhabituelle.
Curieusement, ce n’est qu’à Kinshasa que Monsieur De Gucht suscite la polémique. Les Congolais seraient-ils plus susceptibles que les autres ? Non. Je pense que notre ministre leur réserve des propos qu’il ne se permet pas ailleurs. Je ne me souviens pas avoir déjà entendu Monsieur De Gucht s’adresser de la sorte à un autre chef d’Etat. Sommes-nous allés à Washington pour dénoncer publiquement les atteintes aux droits de l’homme de Guantanamo ? Sommes-nous allés à Pékin pour parler haut et fort de liberté d’opinion ? Au contraire, ceux-là ont droit à nos « missions économiques » princières et aux discours consensuels. En revanche, il semble qu’au moment de s’adresser au Congo, certaines autorités belges ne peuvent se défaire de vieux réflexes paternalistes, une arrogance d’un autre âge.
D’aucuns y voient aussi une réaction épidermique par rapport aux nouveaux contrats passés avec la Chine. La Belgique réclamerait son du après son investissement dans le processus électoral. Les sorties de notre ministre traduiraient donc une certaine jalousie. La Belgique manifesterait ainsi un sursaut d’orgueil. Ses intérêts géo-stratégiques seraient menacés. Son influence en péril… Je ne le crois pas.
Certes, les opérateurs économiques occidentaux ont ri jaune en voyant les chinois leur damer le pion. Les Belges ont été logés à la même enseigne. En business pas de droit d’aînesse. Mais il ne faut pas se faire d’illusion. Les grands investisseurs étrangers en RDC ne sont plus de chez nous. Les forestiers, les miniers, les diamantaires, les importateurs… sont ici indiens, américains ou sud africains. Si quelques entreprises belges ont pu se sentir lésées par le « troc du siècle » avec la Chine, je ne pense pas que cela puisse dicter la politique étrangère de la Belgique. Selon moi, le motif économique n’explique pas les excès de notre ministre. Je dirais même que c’est parce que la Belgique n’a plus trop à y perdre qu’elle peut se permettre une franchise déplacée.
Personnellement, je suis plus enclin à penser que les propos de Monsieur De Gucht sont dictés par une opinion publique flamande conquérante et décomplexée, pragmatique et intransigeante. Fière de sa réussite économique, la classe politique flamande traite aujourd’hui avec le Congo comme elle l’a fait avec la Wallonie en déclin. Sure de ses méthodes, elle se présente en donneuse de leçon. Elle se sent investie d’une mission : remettre de l’ordre dans tout çà.
Dans le cas qui nous occupe, Monsieur De Gucht est coiffé d’une casquette fédérale. Mais à travers son discours, il se fait le relais de l’électorat flamand. Ses propos ne reflètent pas la position belge parce qu’il n’y a pas « une » position belge. Les incohérences au sein même du gouvernement illustrent clairement la dualité de notre opinion publique.
La Belgique a toujours été le point de rencontre des cultures latines et germaniques. Aujourd’hui, cette incapacité à tenir un discours cohérent vers l’extérieur traduit à merveille ce conflit d’influences. Dans le chef des politiques francophones, on perçoit une démarche plus proche de la logique « France-afrique » alors que la diplomatie à la flamande ne s’encombre pas de copinages et de langue de bois. A priori, je préfère le franc-jeu flamand à l’hypocrisie de certains discours. Mais l’honnêteté ne doit pas nous dispenser de respect.
Les liens entre nos deux pays sont très particuliers. Nous sommes intimement liés et la Belgique peut jouer un grand rôle dans la reconstruction du Congo. D’abord parce que l’expertise belge en Afrique centrale est de grande qualité. Mais aussi parce que la Belgique est et restera le meilleur avocat de la RDC sur la scène internationale. L’engagement important de l’Union Européenne au Congo n’est pas le fruit du hasard.
Il n’y a pas de doute, nous avons l’un et l’autre tout à gagner d’un partenariat fort et ambitieux entre nos deux Etats. Le Congo est en ruines et la Belgique est un confetti dans le monde. Travailler ensemble est une nécessité. Mais pour cela, il faudra commencer par respecter ce pays. Le traiter d’égal à égal…