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Du Cabiau à Kinshasa
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24 septembre 2007

On y a tout le confort...

Colonie_BomaAu début du XXème siècle, des cartes postales représentant des exécutions au Congo étaient courantes. Elles témoignaient du maintien de l'ordre dans la colonie et devaient ainsi rassurer la métropole.

Le texte manuscrit de celle-ci contraste particulièrement avec son illustration : "Boma, 8 octobre 1904. Recevez, Cher Monsieur Claikens, mes meilleures salutations du Congo. Je suis très bien arrivé et commence à m'habituer. Boma est une belle ville. On y a tout le confort." Heureusement, les temps changent...

© UGent - Musée RAC de Tervuren - Collection Jacques Lermercier

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A
Il y a un album photos du camp d’extermination d’Auschwitz qui vient d’émerger qui donne pour la première fois l’image des Allemandes et des Allemandes du corps des SS qui y géraient le quotidien de la Shoah. Ces photos---prises par les SS eux-mêmes---donnent froid dans le dos du fait qu’elles montrent des femmes et des hommes normaux dans des situations quotidiennes banales aux côtés des murs derrière lesquels l’horreur à laquelle ils participaient se déroulait ! On voit ces monstres décontractés (certains en tenue civile), à quelque distance du camp d’extermination, assis autour d’une table de pique nique, partageant repas, bière et cigarettes, et souriant à l’objectif de la caméra. Une autre photo montre quelques SS avec des femmes et leurs enfants (j’y vois un bébé sur les genoux de sa mère souriante et toute attention) se bronzant renversés sur des transats ! Et ainsi de suite… Il y a 116 photos de ces obscénités sur le site internet du Mémorial américain de l’holocauste à cette adresse : <br /> http://www.ushmm.org/research/collections/highlights/auschwitz<br /> L’exposition photographique a pour titre « Auschwitz through the lenses of the SS: Photos of Nazi leadership at the camp » (Auschwitz à travers les lentilles des SS: Photos du leadership Nazi au camp). Et le plus effrayant dans cette exposition, c’est qu’il est possible que certains de ces maniaques soient encore vivants et courent les rues de l’Europe ou d’Amérique puisqu’il y a un bouton de formulaire sur chaque page de cet album de l’horreur comportant cette question : « Recognize someone ? » (Reconnaissez-vous quelqu’un ?)<br /> La carte postale que vous exhibez se situe dans la droite ligne de ces horreurs. Dans le Sud-Ouest Africain (aujourd’hui la Namibie), les Allemands allaient à la chasse des Herero namibiens comme on va à la chasse au gibier : avec bières, familles et amis. Certains avaient appelé le génocide des Herero comme la répétition générale de la Shoah… Je ne mentionne même pas le cas du génocide rwandais si terriblement encore présent dans tous les esprits…<br /> Ces atrocités désarment les psychologues et épuisent toutes leurs théories. Il nous faut donc nous tourner du côté de l’anthropologie pour essayer de trouver un essai de réponse à ce mystère du psychisme humain. Assez bizarrement, c’est grâce à un anthropologue qui a fait ses recherches au Zaïre que nous commençons à trouver un semblant de réponse. Il s’agit de l’anthropologue hollandais Johannes Fabian, aujourd’hui professeur à l’Université d’Amsterdam. Mentionnons entre parenthèses son étude sur le peintre révolutionnaire de Lubumbashi assassiné par les sbires de Mobutu pour sa peinture de résistance : « Remembering the Present : Painting and Popular History in Zaire---Narrative and Paintings by Tshibumba Kanda Matulu (1996)» (Mémoire du Présent : Peinture et Histoire populaire au Congo---Récit et Peintures de Tshibumba Kanda Matulu). C’est à ce peintre lushois qu’on doit la série aujourd’hui copiée par tous les peintres congolais de « Colonie Belge » figurant un commissaire de district belge en train de superviser les coups de chicotte administrés impitoyablement par un soldat congolais sur un prisonnier congolais… Mais c’est dans un autre livre à caractère théorique et à caractère autocritique sur les variations entre les notes ethnographiques de l’étude sur le terrain et le texte subséquent d’anthropologie rédigé sur la base de ces notes de terrain que Johannes Fabian découvre l’explication à cette distanciation à même d’expliquer la « schizophrénie » que vous avez épinglé sur la carte postale. Fabian a publié ce livre en anglais aux USA en 1983. L’importance théorique de ce livre pour les anthropologues anglo-saxons fut telle qu’on le rééditait presque chaque année. C’est seulement l’année passée (2006) qu’on l’a enfin traduit en français sous le titre « Le temps et les autres : comment l’anthropologie construit son objet » (Editions Anacharsis). Sa théorie est simple, si on la réduit à l’extrême. Elle repose sur le concept de « co-temporalité » entre les êtres humains. On se sent en co-temporalité avec une personne qu’on respecte, avec qui on partage un même espace émotionnel, culturel, historique, intellectuel, psychique, etc. Par contre, quand il y a « déni de co-temporalité », il y a déclic de distanciation : on repousse l’autre dans un espace différent du nôtre, un « espace allochronique » à temporalité mythique qui en fait un « primitif », un « sauvage », un « animal », un spécimen d’une espèce autre que celle à laquelle nous appartenons---en fait, une chose si différente de nous qu’on peut l’éliminer sans aucun sentiment de culpabilité comme on le ferait pour une mouche (inférence faite par d’autres). Chez nous, les politiciens et leurs supporters dénient toute co-temporalité à leurs ennemis politiques, les femmes, les autres (qui tous prennent le label de Rwandais), etc. Fabian voulait par son essai théorique stigmatiser le biais observé dans les études anthropologiques en défaveur des sociétés observées. Il ne se rendait pas compte que sa réflexion allait transcender le cadre étroit de l’anthropologie culturelle…
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