Juste des coopérants… pas des Saints !
Voilà plus de six mois que je suis à Kinshasa pour cette grande entreprise que l’on appelle « coopération au développement ». Dans ce pays sous perfusion, nous sommes nombreux à travailler dans le domaine. J’ai rencontré ici des dizaines de coopérants. Souvent, nous avons échangé à propos de nos motivations. Pourquoi s’exiler ainsi, dans un pays a priori plus difficile ? Quelles raisons président à un tel engagement ? Peut-être est-ce le moment de faire le point sur la question.
Avant de prendre l’avion, je croyais naïvement que tous les coopérants étaient grosso modo faits du même moule : des aventuriers au grand coeur. Les coopérants étaient à mes yeux des idéalistes... forcément! Je me suis rendu compte que la coopération était un métier (presque) comme un autre. Comme ailleurs, on y rencontre toutes sortes de profils. La générosité n’est qu’un ressort parmi beaucoup d’autres et les coopérants ne sont pas nécessairement des "super-altruistes".
Dans le chef des individus comme des institutions, il y a des motivations très diverses à faire de la coopération. De la part des États occidentaux, il est clair que la coopération au développement répond autant à une stratégie politico-économique qu’à une volonté de solidarité de l’opinion publique. Au niveau des individus qui s’engagent sur ce terrain, les motivations sont parfois tout aussi ambiguës. Beaucoup, pas nécessairement les plus jeunes, arrivent ici par convictions avec l’espoir de servir une noble cause. D’autres, en quête d’exotisme souhaitent simplement pimenter une fin de carrière bien remplie. D’autres encore y verront un pur tremplin professionnel, une aventure ou un exil doré pour reconstruire sa vie.
Il est vrai que la rémunération et les conditions de vies offertes aux expatriés en attirent plus d’un sous les tropiques. La coopération prend parfois des allures de jack pot dans les agences internationales. Se voir offrir une villa à 5000$/mois y est considéré comme normal. Gros salaires, primes de risque et de pénibilité, avantages en tous genres (billets d’avion, loyer, gardiennage, frais scolaires, duty free, per diem et R&R). L’opportunisme fait ici comme partout beaucoup d’ombre à l’idéalisme.
La majorité des expatriés ont dans les capitales africaines un niveau de vie largement supérieur à ce qu’ils pourraient obtenir en Europe. En tant que volontaire, je suis dans le bas de la fourchette. Je gagne moins qu’en Belgique et je partage ma maison avec trois autres personnes. Mais un gardien ouvre mon portail quand je rentre à deux heures du matin, une fille de mon âge range ma chambre, fait ma vaisselle et nettoie mon linge. Un jardinier s’occupe de mes fleurs et un autre de ma piscine (vide)… J’ai 25 ans. C’est surréaliste. C’est Kinshasa.
Un autre aspect de la vie de coopérant me semble déterminant, même si un peu moins évident que les convictions ou les avantages financiers: c’est la reconnaissance sociale. "Coopérer" est un job valorisant.
Malgré les défauts du système, on est la plupart du temps accueilli comme le Père Noël sur le terrain. Plus l'endroit est enclavé plus la visite tournera à la fête pour les personnes rencontrées. Dans certains quartiers reculés, quelques centaines de mètres à pieds se transforment rapidement en cortège rythmé par des chants de remerciement. Tout le monde veut serrer la main du blanc. Poser sur une photo avec le « bienfaiteur ». Cette reconnaissance est évidemment excessive mais il est difficile d’y échapper.
Ensuite, être blanc à Kinshasa confère un statut social très particulier. La peau blanche est un passeport, un passe droit qui vous ouvre toutes les portes et inspire le respect. Quel que soit votre âge, vos compétences ou votre revenu, vous vous retrouvez artificiellement propulsé dans les hautes sphères de la société locale. Le blanc, c’est forcement le riche, l’expert… je ne suis ni l’un ni l’autre. S’ils savaient… Des policiers me saluent dans la rue comme un officier et les portes s’ouvrent devant moi comme pour une autorité. Cercles privés, ministères, grands hôtels… je rentre (presque) comme chez moi dans ces lieux où les Congolais doivent montrer patte blanche. Cette reconnaissance là est frauduleuse. C’est du racisme à l’envers…
Enfin, il y a la perception de notre travail depuis l’Occident. Pour beaucoup de gens, les coopérants sont des Robin des Bois. Des gens dévoués et courageux. A travers leurs campagnes de publicité, les ONG véhiculent cette image positive du coopérant. Les media en font de même. Il y a six mois, RTL diffusait un reportage sur mon arrivée à Kinshasa en nous présentant comme des descendants de Mère Theresa, des missionnaires des temps modernes partis pour sauver l’Afrique. Cette reconnaissance là est tout aussi excessive que celle des villageois.
Être coopérant n’est pas un sacerdoce. C’est un travail rémunéré (souvent très bien) qui procure de surcroît énormément de satisfactions personnelles. Il comporte bien quelques risques mais les compensations sont importantes. Être coopérant est donc une chance. Mon travail est d’aider les autres. J’ai la joie de donner du sens à mon boulot, le bonheur de découvrir une autre culture et le plaisir d’apprendre tous les jours. Être coopérant, c'est bien plus un rêve qu'un sacrifice...