A quoi ça tient...
Tout a commencé il y a une quinzaine de jours. Nous étions rassemblés dans un cercle privé du centre de Kinshasa. Tous les cadres CTB du pays, belges et congolais, étaient venus suivre une formation dans la capitale. Étant donnée la rareté de ces occasions, les retrouvailles entre collègues sont toujours assez conviviales. Deux formatrices avaient fait exprèssément le déplacement de Bruxelles pour nous enseigner les dernières inventions en matière de gestion des ressources humaines. N'ayant pas supporté leur premier repas congolais, nous étions occupés à meubler la matinée, le temps que leur estomac reprenne le dessus.
Soudain, quelqu'un est venu chercher le “big boss” de la CTB au Congo invoquant des problèmes de sécurité à l'extérieur. Le chuchotement qui s'en suivit s'apaisa rapidement, nos collègues ont l'habitude de ce genre d'imprévus. Mon coeur, quant à lui, mit un peu plus de temps à retrouver son rythme paisible et régulier... Je suis sûrement trop émotif pour Kinshasa.
En arrivant le matin, nous avions déjà remarqué le nombre anormalement élevé de militaires et de lance-roquettes dans les environs. Mais nous ne disposons pas encore de toutes les clés nécessaires pour interpréter de telles irrégularités.
Après une bonne dizaine de minutes, réapparition de notre patron. Pas de soucis, fausse alerte, les kalachnikovs ne se sont pas encore réveillées... mais ça pourrait ne plus tarder. Vigilance mais pas de stress. Pas question d'interrompre le travail tant qu'on entend pas les premiers coups de mortier. Par acquis de conscience, contact a tout de même été pris avec la MONUC (Casques Bleus) pour signaler notre position et s'assurer que la poudrière ne s'est pas encore embrasée.
Ce n'est que plus tard que nous, jeunes volontaires naïfs et insouciants, avons compris qu'une poudrière s'était formée au coeur de la ville. Nous étions le 8 mars 2007, il restait exactement une semaine avant l'expiration de l'ultimatum lancé par l'Etat major congolais aux ex-vice-présidents (et ex-chef de rébellions) pour désarmer leurs milices privées en poste à Kinshasa. Des accords avaient été signés avant les élections présidentielles mais ça se passe rarement comme prévu au Congo.
Pour montrer leur détermination, les forces armées régulières (FARDC) se sont déployées à proximité des résidences de Ruberwa et surtout de Bemba. L'un et l'autre disposent de plusieurs centaines d'hommes armés pour assurer leur sécurité personnelle. Se sentant menacés par la présence renforcée de l'armée congolaise sur le trottoir d'en face, les miliciens sont passés en “code rouge”. Ils ont affublés leur tête et leurs armes de bandeaux rouges en signe de préparation au combat. Sans attendre, les casques bleus sont évidemment entrés dans la danse en postant leurs blindés blancs aux mêmes endroits que les potentiels belligérants.
Le centre de Kinshasa s'est alors métamorphosé. Les gens se sont mis à marcher d'un pas anormalement décidé, les rues se sont étrangement vidées... J'ai enfin compris ce que voulaient dire les journalistes lorsqu'ils parlent de “tension palpable”. C'est comme si toute la ville retenait son souffle. Tout le monde écoute la radio, reste pendu à son GSM et ne parle que de ça.
Les rubans rouges, les bérets verts et les casques bleus sont ainsi restés une semaine à se dévisager de part et d'autre du boulevard du 30 juin, la colonne vertébrale de la capitale. Chanvrés ou bitus pour se donner du courage, un dérapage individuel aurait pu mettre le feu aux poudres. Mais rien de semblable cette fois.
La situation est aujourd'hui plus calme. On s'oriente vers un désarmement négocié. Les ex-vice-présidents ont reçu l'assurance de conserver 1/3 de leur salaire d'homme d'Etat (100.000$/mois!!!) pendant encore cinq ans. Reste à régler la question du nombre d'hommes affectés à leur sécurité. La paix coute cher au Congo. En attendant, les blindés blancs des Nations Unies restent postés aux carrefours stratégiques et pour les Kinois, la (sur)vie a repris son cours...
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J'ai écrit ceci pour vous faire partager ce que peut être la vie quotidienne à Kinshasa. Mais il ne faut sûrement pas s'inquiéter pour autant. D'une part, les quartiers militarisés sont circonscrits au centre ville (Gombe). L'immense majorité de la capitale reste passivement spectatrice de ces démonstrations de force. Dans notre quartier, nous ne courons absolument aucun risque. D'autre part, nous sommes en permanence informés (sms, radio... ) et encadrés par la CTB et l'Ambassade de Belgique. Ici, les gens savent parfaitement gérer ce genre de situations.
Souvenons-nous seulement que la paix est précieuse et fragile. On l'oublie parfois en Europe...
PS : Pour suivre l'évolution de la situation, je vous renvoie au site de la MONUC dont les informations sont les plus fiables et les plus fraîches du marché. => http://www.monuc.org voir les dépêches en colonne de droite.