Ceci n'est pas une fiction...
Voilà un an que je passais tous les jours devant cette étrange potence. Un vestige d’une autre époque dont je me demandais bien l’utilité passée. Elle trône sur le boulevard Kasa-Vubu dans la commune de Bandal. Je me disais qu’elle avait du en son temps suspendre un panneau de signalisation… une publicité peut-être.
Je n’en avais pas fait une obsession. La question ne m’empêchait pas de dormir. Ce genre de mobilier urbain désuet n'est pas rare à Kinshasa. A vrai dire, j’en avais complètement oublié l’existence… jusqu’à jeudi dernier.
Alors que je partageais une Primus avec un ami dans un vieux bar du centre ville, un « papa » s’est présenté à nous avec un guide touristique du Congo-Belge rédigé en flamand en 1958. Ce genre d’ouvrage attire généralement mon attention. Il y a souvent quelques perles à y découvrir. Le pays a tellement changé…
Mais quelle ne fut pas ma surprise d’y retrouver la vieille potence de Bandal. Sur la photo, on l’aperçoit surplombant… un bus!?!? En une photo, ma curiosité était aiguisée. Je devais en savoir plus. Cette ville aurait-elle connu des transports publics performants? De l’électricité de qualité??? Il fallait faire la lumière…
Les technologies modernes m’ont rapidement permis d’élucider le mystère. Sur internet, j’ai ainsi pu découvrir que Léopoldville avait servi de laboratoire géant pour un réseau de transport en commun… hors du commun. Au début des années cinquante, une firme suisse avait mis au point un nouveau type de bus révolutionnaire. Le Gyrobus : un véhicule électrique sans câble jamais rencontré auparavant.
Le concept technique est fascinant. Il mérite le détour. Pour faire simple, une borne électrique de rechargement est installée tous les deux kilomètres et permet de relancer un volant de 1500kg (1,6m de diamètre) suspendu sous le véhicule. Celui-ci, en tournant à très grande vitesse (3000 tours/min.), emmagasine l’énergie nécessaire pour rejoindre l’arrêt suivant. Il faut alors 30 à 120 secondes pour faire le plein d'énergie en redonnant au volant sa pleine rotation.
Les 12 gyrobus de Kinshasa parcouraient alors quatre lignes. Ils pouvaient chacun embarquer 90 personnes à plus de 60km/h.
Seules trois villes au monde ont vu circuler ces véhicules précurseurs : la ville suisse du constructeur, Gand et Kinshasa.
Malheureusement, on ne peut pas dire que l’initiative ait été couronnée de succès. Après quatre ou cinq années de fonctionnement, les gyrobus ont disparu de la circulation. Plusieurs raisons ont été évoquées. Les véhicules auraient souffert d’une usure précoce, ils auraient mal supporté l’humidité locale et les chauffeurs auraient pris trop de raccourcis sur des pistes en terre d’ou il était bien difficile de les extraire une fois les batteries déchargées.
Mais en ces temps de réchauffement climatique et de métropoles asphyxiées, alors que Kinshasa est paralysée par les embouteillages et que j’ai tout le mal du monde à allumer une ampoule de 30 watt dans ma maison… ce projet laisse rêveur.