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Du Cabiau à Kinshasa
26 septembre 2007

L'aide au développement est-elle efficace?

ong_bailleursLa question de l’efficacité de l’aide au développement est aussi capitale qu’ancestrale. Pourtant, entre les rapports lénifiants des bailleurs de fonds et les critiques acerbes de certains scientifiques, il est bien difficile de se faire une opinion sur le sujet. Certaines études prétendent que l’aide au développement n’a fait qu’accroître la bureaucratie, les inégalités et la corruption. D’autres affirment que la pauvreté aurait été bien plus grande sans cette assistance internationale. En parcourant l’essentiel de la littérature existante, j’ai essayé de me faire ma petite idée.

L’indicateur le plus pertinent pour mesurer l’efficacité de l’aide au développement serait probablement la réduction de la pauvreté. Mais pour des raisons de disponibilité de données, le concept de croissance économique lui est malheureusement souvent préféré. Le débat s’est donc cristallisé autour de cette question : "L’aide permet-elle à l’économie de décoller?". Ce choix est forcément réducteur car de nombreuses formes d’aide ne visent pas la stimulation de l’économie mais cette limitation de l’objet a au moins le mérite de rendre possible la discussion.

aideCette même discussion a considérablement évolué au cours du temps. Jusqu’au milieu des années nonante, les économistes étaient régulièrement confrontés à un paradoxe qu’ils ont appelé "micro-macro". En effet, les bonnes performances des projets au niveau local contrastaient singulièrement avec l’impact relativement négligeable qu'on pouvait observer à l’échelle des pays. Ce constat d’échec a conduit à une crise de légitimité et fait fondre les montants de l’aide au développement à travers le monde. Pourtant, à la lumière des progrès méthodologiques de ces dernières années, ces premières études apparaissent relativement peu fiables et il ne leur est plus guère fait référence.

Il a fallu attendre les travaux de Boone (1996) et de Burnside & Dollar (1997), pour voir une double révolution méthodologique puis idéologique relancer l’intérêt scientifique et politique pour l’aide au développement. Le second article, particulièrement influent, a lancé le principe de « sélectivité ». Selon ses auteurs, l’aide au développement a bien un impact positif sur la croissance mais uniquement en présence de politiques économiques appropriées. Autrement dit, une meilleure sélection des bénéficiaires pour une meilleure allocation de l’aide doit suffire à en améliorer l’efficacité. Cette nouvelle doctrine a séduit les bailleurs internationaux et restauré la crédibilité de l’aide au développement. Mais alors que les budgets destinés aux  "meilleurs élèves" atteignaient des sommets, l’assistance aux pays plus vulnérables diminuait d’autant. Les déshérités devaient ainsi payer la facture de l’efficacité.

De tels bouleversements ont naturellement suscité de vives réactions. Les conséquences de cette nouvelle sélectivité ont tour à tour été encensées puis décriées. De très nombreux articles ont entrepris de critiquer la fragilité du modèle de Burnside & Dollar (1997) et de leur base de données, la subjectivité de leurs critères de sélection et de leur concept de "politique économique appropriée".

caritasAujourd’hui, la tempête idéologique s’est un peu déplacée. A l’exception de quelques provocateurs isolés, la grande majorité des économistes reconnaissent un "certain effet positif" de l’aide au développement sur la croissance économique. Ils sont toutefois loin de s’accorder sur l’ampleur de cet impact et sur les facteurs qui le déterminent. De ce point de vue là, le débat reste ouvert. Tout au plus peut-on donc dire que l’aide dans son ensemble a un impact positif sur la croissance mais que celui-ci dépend des particularités du pays bénéficiaire comme des caractéristiques de l’aide elle-même. Voilà une conclusion bien tiède qui semble a priori évidente. C’est pourtant la synthèse de dizaines d’articles de haut vol. Mais pourquoi est-il donc si difficile de se prononcer sur la question? Est-il impossible d’estimer l’efficacité de l’aide au développement ?

A vrai dire, une erreur se trouve dans la question. Se demander si l’aide au développement est efficace "dans son ensemble" a peu de sens. En effet, selon sa forme, son origine et sa destination, l’aide poursuit des objectifs très différents. Entre les intérêts géo-stratégiques ou économiques des donneurs et une volonté de bonne gouvernance ou de développement durable, il est difficile de définir le rôle de l’aide internationale. Son efficacité est donc un concept flou.

D’autre part, la démarche économétrique de telles comparaisons internationales n’est pas robuste. De très petits changements de la spécification peuvent donner des résultats tout à fait contradictoires. Quand on connaît l’influence de telles études, pareilles lacunes méthodologiques peuvent avoir des conséquences très dommageables pour de nombreuses populations fragilisées.

constructionA la lumière de ces difficultés, il semble raisonnable de renoncer à la question de l’efficacité de l’aide "dans son ensemble" pour lui préférer des études plus approfondies pays par pays. En effet, l’aide peut très bien être souhaitable à certains endroits et avoir d’importants effets pervers ailleurs. Il faut donc résister à la tentation de la généralisation. De plus, ces études par pays sont les seules capables de renoncer au tout puissant « PIB/hab.» pour se focaliser sur des indicateurs aussi importants que la pauvreté, l’éducation ou la santé publique. Enfin, leur spécification plus précise les rend nettement plus robustes et donc nettement moins susceptibles d’induire en erreur nos décideurs internationaux.

Cette réflexion est issue d'un mémoire intitulé : The Effectiveness of Aid to Development. Focus on the Aid-Growth literature. Vous en trouverez l'intégralité en cliquant ici.

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Commentaires
A
Le fait de retrouver aujourd’hui des reliquats insignifiants de la fortune de Mobutu n’annule pas le fait que les institutions de Bretton Woods ont bel et bien accordé des crédits « sauvages » au régime de Mobutu. Des études ont d’ailleurs été faites au début et au milieu des années 1980 pour dénoncer ces pratiques. Et le service de cette dette est de 150 millions de dollars par an---avec actuellement un "gap" de 80 millions de dollars!
C
Erratum : les avoirs de Mobutu
C
Les avoirs de Mobuto seraient en voie de rapatriement vers la RDC... avec un montant moindre escompté !<br /> <br /> Quelles seront les modalités de cette trasactions qui se chiffre, selon certaines sources, à environ 5 millions d'euros ?<br /> <br /> 5 millions d'euros...
A
Mon appréhension de l’économie est limitée---sans parler de la théorie économique du développement dont vous présentez si brillamment le condensé. Je vous remercie pour cette vulgarisation…Et la formulation de mon opinion est, à tout prendre, celle d’un profane. Voici donc mon problème…<br /> Le FMI vient de publier coup sur coup deux rapports sur la RDC accompagnés d’une newsletter donnant un diagnostic sur la crise en RDC et une prescription pour la résoudre. L’un de ces rapports, Democratic Republic of Congo : Poverty Reduction and Growth Strategy Paper (PRGSP), est basé sur des études quantitatives entreprises l’année passée. Je ne sais dans quel modèle vous placeriez cette politique, mais j’ai constaté que si le diagnostic du FMI est correct, sa prescription est fausse et mène le pays droit dans un cul-de-sac. Car le FMI semble placer une grande importance sur des principes ultra-néolibéraux qui finiront par provoquer un étouffement de nos populations, un profond malaise social et une nouvelle instabilité politique. Les indicateurs que ce rapport donne sur le pays sont effrayants : taux de chômage : 80% ; incidence de la pauvreté la plus abjecte dans la population : 71,34%---avec une pauvreté absolue dans les zones rurales. Même dans les provinces les moins pauvres, l’incidence de la pauvreté est tout simplement inacceptable (même en comparaison au niveau des autres pays frontaliers de la RDC) : ville-province de Kinshasa : 42% ; Kasaï occidental : 55,83% ; Maniema : 58,52%... Les provinces les plus pauvres, avec une incidence de la pauvreté de 85% ou plus sont : l’Equateur, le Bandundu et le Sud-Kivu. En sus de cette indigence généralisée, la prévalence du VIH/SIDA était de 4,5% dans la population générale en 2004, c’est-à-dire 2,6 millions de personnes---et parmi les très jeunes (groupe d’âge 14-19 ans), cette prévalence est de 3,2%, ce qui, selon le rapport, « est de 2 pourcents plus élevée que la norme de l’OMS (1,6%) ». <br /> La prescription du FMI s’articule autour de ce qu’il appelle 4 « piliers » : 1) Promouvoir la bonne gouvernance et consolider la paix par le renforcement des institutions ; 2) Consolider la stabilité et la croissance macroéconomiques ; 3) Améliorer l’accès aux services sociaux et réduire la vulnérabilité ; et, en dernier lieu et non des moindres, 4) Combattre le VIH/SIDA. <br /> Beau projet qui tombe sans doute quelque part dans l’un des modèles que vous nous présentez. <br /> Considérons cependant un instant à titre d’illustration une petit point du seul Pilier 3. Sous ce titre, il y a une sous-section intitulée « Approvisionnement en eau et système sanitaire » où nous lisons ce qui suit (ma traduction) : « Les activités à mettre en œuvre comprennent : (i) réformes dans les secteurs de l’eau et du système sanitaire ; (ii) faire l’état des lieux des besoins en eau des populations urbaines et rurales ; (iii) rédiger le Code de l’eau et du système sanitaire, avec un accent particulier sur les questions de protection et de gestion intégrées des ressources en eau, une définition des rôles des opérateurs privés dans le secteur, et clarification des domaines d’action : villes de grande et moyenne dimension, centres périurbains et zones rurales ; et création d’un fonds de développement de l’eau et du système sanitaire ». <br /> Voilà la folle prescription du FMI---spécifiquement dans ce qu’il appelle « rôles des opérateurs privés dans le secteur ». Ceci signifie que la distribution, actuellement opérée par la REGIDESO, agence paraétatique, sera privatisée---ergo : l’eau coûtera plus cher aux ménages pauvres ; ce qui est en contradiction avec le but proclamé de l’amélioration de l’accès de la population à un service social critique---ergo : une exacerbation de la vulnérabilité des Congolais déjà paupérisés par 4 longues années de guerre dont on pourrait faire remonter les causes au FMI : c’était en effet cette institution qui prêtait à tout-va à la kleptocratie de Mobutu sans lui imposer les « conditionnalités » qu’on impose à présent arbitrairement au pays. Dans l’entretemps, la RDC continue de payer bon gré mal gré des dettes de Mobutu ou accumuler de lourds arriérés lorsqu’elle est en défaut de paiement ou se voit infliger des pénalités arbitraires lorsqu’elle échoue à l’un ou autre point d’un programme arbitraire d’évaluation des performances. <br /> Ce qui se profile en filigrane dans ces rapports est un projet d’élimination de l’appareil de l’Etat congolais pour ouvrir la voie au raid du pays par les vautours des multinationales. Dans une newsletter parue ce mois, le FMI qualifie le budget misérable de 2 milliards de dollars d’« expansionniste » et se plaint « des retards dans les réformes structurelles » (privatisations). Il s’inquiète spécialement de l’expansion de l’enveloppe salariale des fonctionnaires dont les salaires sont gelés à leurs niveaux des années 1980. Selon le FMI, cette augmentation « de la facture salariale risque de saper la viabilité fiscale »… Un autre rapport enjoint au gouvernement de limiter ses dépenses en matière de sécurité pour les mêmes raisons de viabilité fiscale, ce qui est en contradiction avec l’objectif de consolidation de la paix. <br /> Je ne suis pas économiste, mais il m’apparaît clairement que ce n’est pas au travers des prescriptions du FMI que le Congo verra le bout du long tunnel sombre dans lequel il est coincé. Il n’est donc pas étonnant que certains pays africains---comme l’Angola---commencent à imiter l’exemple de quelques pays latino-américains (Venezuela, Bolivie) qui ont bouté le FMI hors de leurs frontières. Récemment, les médias nous ont appris que la RDC et la Chine venaient de signer un contrat sans conditionnalité (ou sur le point de le signer) d’une hauteur de 5 milliards de dollars. La réaction du FMI ne s’est pas fait attendre. Encore une fois, la presse nous a appris qu’une délégation de haut niveau du FMI est descendue sur Kinshasa, est entrée en coup de vent dans le bureau du Ministre des Finances, a tapé du poing sur la table, et a demandé au ministre de lui produire l’impensable contrat ! Il semble que le FMI menacerait sérieusement la RDC de graves châtiments si ce contrat démoniaque n’est pas résilié.<br /> Dites-moi alors si la pauvreté sera un jour éradiquée avec ce genre de prescriptions ou si la prise en otage de l’Etat congolais pas ces institutions depuis Mobutu trouvera une résolution satisfaisante de notre vivant…
S
A François et à Sim<br /> <br /> Je suis étonné qu’il n’y ait pas encore des camions de Bruxelles propreté dans les rues de Kin, ni des Bus de la Stib…tout comme (plus sérieusement) je suis ahuris que l’on puisse aborder la question des déchets comme si cela était une fatalité. Je suis affligé lorsque les déchets que les gens pourraient recycler eux-mêmes se retrouvent dans les décharges ! Le tri et le recyclage des déchets semblent ne pas être à l’ordre du jour…en attendant les camions de Bruxelles-propreté et des incinérateurs comme celui de Drogenbos ? Si la ville de Kinshasa, par exemple, veut organiser le traitement des déchets, c’est fort bien. Mais, ne faudrait-il pas commencer par définir une politique des déchets tenant compte des réalités locales? Puis sensibiliser les Kinois aux enjeux liés à une telle politique, etc. Je ne suis pas au courant de tout ce qui se fait sur place mais je ne peux m’empêcher de me poser ces questions.<br /> Enfin, la coopération au développement donne trop souvent l’impression d’être, in fine, l’otage d’intérêts divers (principalement économiques et politiques) mais comment faire autrement ? Pour ma part, je reste convaincu que c’est possible…sans détenir des solutions miracles, quelques pistes me paraissent intéressante : certains proprio ont compris tout l’intérêt qu’ils pourraient tirer d’une présence importante d’expatriés à Kinshasa. Résultats : La Ctb, la monuc,…louent très facilement (TROP ?) des logements à 5000, 6000 dollars voire plus alors qu’ils pourraient coûter infiniment moins chers ! Le hic c’est que ce sont les couches les plus favorisés qui profitent de cette situation. N’y a –t-il pas moyen d’envisager autre chose ? par exemple participer à la création des logements pas chers mais qui pourraient ultérieurement êtres mises à la dispositions des communes, des universités, etc. L’idée est de permettre aux ‘ EXPAT’ de se loger décemment tout en ne participant pas à la flambée immobilière à Kin… Est-ce utopique ?<br /> Qu’en pensez-vous ?
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