L'aide au développement est-elle efficace?
La question de l’efficacité de l’aide au développement est aussi capitale qu’ancestrale. Pourtant, entre les rapports lénifiants des bailleurs de fonds et les critiques acerbes de certains scientifiques, il est bien difficile de se faire une opinion sur le sujet. Certaines études prétendent que l’aide au développement n’a fait qu’accroître la bureaucratie, les inégalités et la corruption. D’autres affirment que la pauvreté aurait été bien plus grande sans cette assistance internationale. En parcourant l’essentiel de la littérature existante, j’ai essayé de me faire ma petite idée.
L’indicateur le plus pertinent pour mesurer l’efficacité de l’aide au développement serait probablement la réduction de la pauvreté. Mais pour des raisons de disponibilité de données, le concept de croissance économique lui est malheureusement souvent préféré. Le débat s’est donc cristallisé autour de cette question : "L’aide permet-elle à l’économie de décoller?". Ce choix est forcément réducteur car de nombreuses formes d’aide ne visent pas la stimulation de l’économie mais cette limitation de l’objet a au moins le mérite de rendre possible la discussion.
Cette même discussion a considérablement évolué au cours du temps. Jusqu’au milieu des années nonante, les économistes étaient régulièrement confrontés à un paradoxe qu’ils ont appelé "micro-macro". En effet, les bonnes performances des projets au niveau local contrastaient singulièrement avec l’impact relativement négligeable qu'on pouvait observer à l’échelle des pays. Ce constat d’échec a conduit à une crise de légitimité et fait fondre les montants de l’aide au développement à travers le monde. Pourtant, à la lumière des progrès méthodologiques de ces dernières années, ces premières études apparaissent relativement peu fiables et il ne leur est plus guère fait référence.
Il a fallu attendre les travaux de Boone (1996) et de Burnside & Dollar (1997), pour voir une double révolution méthodologique puis idéologique relancer l’intérêt scientifique et politique pour l’aide au développement. Le second article, particulièrement influent, a lancé le principe de « sélectivité ». Selon ses auteurs, l’aide au développement a bien un impact positif sur la croissance mais uniquement en présence de politiques économiques appropriées. Autrement dit, une meilleure sélection des bénéficiaires pour une meilleure allocation de l’aide doit suffire à en améliorer l’efficacité. Cette nouvelle doctrine a séduit les bailleurs internationaux et restauré la crédibilité de l’aide au développement. Mais alors que les budgets destinés aux "meilleurs élèves" atteignaient des sommets, l’assistance aux pays plus vulnérables diminuait d’autant. Les déshérités devaient ainsi payer la facture de l’efficacité.
De tels bouleversements ont naturellement suscité de vives réactions. Les conséquences de cette nouvelle sélectivité ont tour à tour été encensées puis décriées. De très nombreux articles ont entrepris de critiquer la fragilité du modèle de Burnside & Dollar (1997) et de leur base de données, la subjectivité de leurs critères de sélection et de leur concept de "politique économique appropriée".
Aujourd’hui, la tempête idéologique s’est un peu déplacée. A l’exception de quelques provocateurs isolés, la grande majorité des économistes reconnaissent un "certain effet positif" de l’aide au développement sur la croissance économique. Ils sont toutefois loin de s’accorder sur l’ampleur de cet impact et sur les facteurs qui le déterminent. De ce point de vue là, le débat reste ouvert. Tout au plus peut-on donc dire que l’aide dans son ensemble a un impact positif sur la croissance mais que celui-ci dépend des particularités du pays bénéficiaire comme des caractéristiques de l’aide elle-même. Voilà une conclusion bien tiède qui semble a priori évidente. C’est pourtant la synthèse de dizaines d’articles de haut vol. Mais pourquoi est-il donc si difficile de se prononcer sur la question? Est-il impossible d’estimer l’efficacité de l’aide au développement ?
A vrai dire, une erreur se trouve dans la question. Se demander si l’aide au développement est efficace "dans son ensemble" a peu de sens. En effet, selon sa forme, son origine et sa destination, l’aide poursuit des objectifs très différents. Entre les intérêts géo-stratégiques ou économiques des donneurs et une volonté de bonne gouvernance ou de développement durable, il est difficile de définir le rôle de l’aide internationale. Son efficacité est donc un concept flou.
D’autre part, la démarche économétrique de telles comparaisons internationales n’est pas robuste. De très petits changements de la spécification peuvent donner des résultats tout à fait contradictoires. Quand on connaît l’influence de telles études, pareilles lacunes méthodologiques peuvent avoir des conséquences très dommageables pour de nombreuses populations fragilisées.
A la lumière de ces difficultés, il semble raisonnable de renoncer à la question de l’efficacité de l’aide "dans son ensemble" pour lui préférer des études plus approfondies pays par pays. En effet, l’aide peut très bien être souhaitable à certains endroits et avoir d’importants effets pervers ailleurs. Il faut donc résister à la tentation de la généralisation. De plus, ces études par pays sont les seules capables de renoncer au tout puissant « PIB/hab.» pour se focaliser sur des indicateurs aussi importants que la pauvreté, l’éducation ou la santé publique. Enfin, leur spécification plus précise les rend nettement plus robustes et donc nettement moins susceptibles d’induire en erreur nos décideurs internationaux.
Cette réflexion est issue d'un mémoire intitulé : The Effectiveness of Aid to Development. Focus on the Aid-Growth literature. Vous en trouverez l'intégralité en cliquant ici.