Quand l'Europe poignarde l'Afrique...
Un élevage de 3000 poules pondeuses dans la banlieue de Kinshasa?!? A priori, ça fait chaud au coeur. On se dit qu'il y a là de l'espoir et que le développement du Congo passera par l'agriculture. Enfin des infrastructures dignes de ce nom dans ces quartiers déshérités où si peu de choses tiennent encore debout. Voilà un exemple à suivre, un modèle pour ces innombrables petits maraîchers qui ne savent plus à quel Saint se vouer.
Le maître des lieux : un prêtre flamand de soixante huit ans. Quarante ans de Congo et cinquante dans l'agriculture. Le genre d'athlète qui parvient à vous semer lorsqu'il vous fait faire le tour du propriétaire sous le soleil de midi. Il y a neuf ans, à la demande de sa congrégation, il a monté cette ferme de toutes pièces : 13 hectares, 15 étangs, 600 palmiers adultes et le double de jeunes arbres, du maïs, de l'amarante, du manioc, des arbres fruitiers, des porcs... et puis ses poules. Il les bichonne jour et nuit. Il dort avec ses poussins pendant plusieurs semaines pour alimenter le brasier qui doit chauffer la poussinière. La journée, il ne laisse jamais s'écouler plus de 40 minutes sans aller contrôler son grand poulailler. Sous ces latitudes, un abreuvoir se renverse et c'est tout l'élevage qui est condamné.
Le décors semble idyllique et pourtant notre prêtre-fermier est désabusé. Avec les revenus de son exploitation, il peut à peine assumer les 80$/mois de salaire de ses trois travailleurs. Bien sûr, il y a la pauvreté du sol, les pluies qui emportent tout et le prix élevés de la nourriture d'élevage. Mais le vrai problème, c'est la concurrence déloyale des importations européennes. Le coût de production des oeufs produits à Kinshasa pour le marché local est plus élevé que le prix des oeufs européens venus par bateaux. L'Europe déverse ses excédents agricoles sur les marchés africains et anéantit les petits producteurs locaux. Le problème est bien connu. Le scénario est identique pour le poulet congelé dont le prix défie toute concurrence locale. A coup de subventions, nous creusons la tombe de l'Afrique.
J'avais appris dans les livres les effets dévastateurs de cette concurrence déloyale, mais je vous assure qu'assister en direct à l'enlisement des paysans africains est encore bien plus révoltant. La majorité de la population n'a ici que l'agriculture pour survivre. Mais nous continuons à arroser de subsides (50 milliards d'euros/an) nos rares agriculteurs sans considérations pour les dizaines de millions de personnes qui en paient les conséquences à travers la planète.
Je me demande parfois le sens de la coopération au développement. Ne sommes nous pas en train de laver la conscience de l'Occident? Pourquoi construire des routes si nous asphyxions les personnes qui les empruntent? Pourquoi ces écoles si les paysans n'ont pas les moyens d'y envoyer leurs enfants? Quelle mascarade...