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Du Cabiau à Kinshasa
27 mars 2007

... après ça ...

079644Les canons se sont tus, le calme est revenu et la vie a repris son cour. Le moindre bruit sec ne me fait plus sursauter et je peux à nouveau penser à autre chose qu'au pire. Mais tout n'est pas pour autant comme avant. Je ne sais si les évènements que nous venons de traverser nous ont marqué au fer rouge. Mais je ne suis plus tout à fait le même garçon que celui qui est monté dans l'avion le 28 janvier dernier. Les larmes ne viennent pas ... ou pas encore. Mais il faut faire sortir la tension et toutes ces choses accumulées pendant ces instants irréels. Les mots m'aideront peut-être à tourner la page.

Il y a d'abord l'angoisse tenace et incontournable qui noue le ventre. La balle perdue, le coup de mortier, les militaires bourrés, les pilleurs ou les fuyards paniqués... on ne sait pas ce qu'il faut craindre. Mais jamais je n'avais connu cette peur prolongée qui use et affaiblit. Il y a aussi la solitude. Parce qu'on a beau être huit, personne ne peut rien faire et qu'au cas où... ce sera chacun pour soi. Puis, il y a la révolte à l'égard de ces irresponsables qui jouent avec la vie humaine mais aussi à l'égard de cette ambassade, de la MONUC et du monde entier qui ne peuvent strictement rien pour nous. La même colère pour ceux là qui nous avaient dit qu'en cas de problèmes nous serions secourus. En fait, quand ça tire de partout, c'est cache toi ou crève. Il y a évidemment la tristesse face à tant de violence et d'inhumanité. Mais aussi l'ignorance et l'incompréhension de la situation. La puissance des tirs est en fait le seul indicateur de la tournure des évènements. Combien de temps cela va durer? Qui est en train de prendre le dessus? Est-ce des barbares qui appuient sur la gâchette? Nous sommes aveugles dans notre trou. Les quelques informations que l'on reçoit de l'extérieur sont la plupart du temps en décalage avec la réalité du “front”. A l'instant même où notre cher Premier Ministre déclarait sur les ondes que les ressortissants belges étaient en sécurité, des kalachnikovs crépitaient à quelques mètres de nous et des obus continuaient de pleuvoir aveuglément sur d'autres quartiers de la ville. Enfin, il y a la vulnérabilité. La vulnérabilité d'un enfant face à ses cauchemars. La prise de conscience brutale que tout pourrait s'arrêter là. Nous sommes éphémères ... cela devient une obsession...  Lorsque tout se termine, lorsque le silence se fait plus long, c'est l'euphorie qui nous envahit. Le soulagement d'en être sorti. Mais au moment de réaliser ce qui s'est passé, quand on compte les blessés et les autres, c'est un frisson qui parcourt le corps.

KinshasaFleuveCongoHeureusement, notre baptême du feu a été de courte durée. Malgré le nombre de victimes (on parle maintenant de 500 morts), je ne me permettrai certainement pas de penser que nous avons connu “la guerre”. Ce serait manquer de respect à l'égard des victimes des “vrais” conflits : ceux qui sont interminables, sales et oubliés du monde. Nous n'avons eu droit qu'à un échantillon de bêtise humaine. Nous avons vécu 48h de combats dont l'issue était certaine et dont nous n'étions ni la cible, ni l'enjeu. C'est bien peu de choses au regard de ce qu'endurent les habitants de Bagdad, de Mogadiscio, du Darfour ou de l'Est du Congo. Mais j'ai aujourd'hui le sentiment de comprendre un peu mieux qu'hier cette planète qui souffre. Ces deux jours ont levé un coin de mon voile d'indifférence. Parce que paradoxalement, la guerre, ça rapproche aussi. De la même manière que je ne vois plus mes collègues de la même façon, je me sens un peu plus proche de mes grands-parents, des réfugiés kosovars et de tous ceux qui, un jour, ont eu peur d'un fusil.

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Commentaires
L
Il est de tes posts qui appellent peu de commentaires. Ou plutôt sont-ils difficiles à formuler.<br /> <br /> Ils n'en restent pas moins à notre esprit. Et leur auteur aussi.<br /> <br /> Ne t'arrête pas, cher frère !
D
Ah Fonz... tu nous mets encore les larmes aux yeux! Merci de nous faire partager ces moments et surtout, content de voir que ca va. Parce qu'en l'absence de messages pendant quelques jours, il y a de quoi se poser des questions. Ciao
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